La théorie des trois cerveaux est utile pour de multiples situations de la vie de tous les jours. Dans le monde de l'éducation, elle entraine un certain nombre de considérations intéressantes concernant les attitudes propices des adultes tout autant que les choix des équipes éducatives. Que ce soit pour le reptilien, le mammifère ou le néocortex, ces attitudes visent en fait à répondre aux besoins des personnes en présence.
En ce qui concerne le reptilien, il faut bien comprendre que nos besoins de sécurité concernent autant des éléments très concrets que des éléments symboliques. D'un point de vue très concret, nous avons ainsi des besoins tels que respirer, manger, dormir, ne pas être menacé dans notre intégrité, voire encore "aller aux toilettes"... Lorsque ces besoins ne sont pas satisfaits, nous pouvons donc ressentir un sentiment d'insécurité et dès lors réagir comme des animaux en danger.
Ce qui est intéressant, c'est que nos besoins de sécurité sont également symboliques. Nous pouvons par exemple avoir besoin d'un cadre clair, de règles annoncées, d'un horaire respecté et comprenant des pauses... Nous avons également besoin d'être nourris intellectuellement, de ressentir que nos activités nous nourrissent le cerveau ou le chemin de vie. Nous avons enfin besoin de sécurité identitaire et/ou relationnelle. Lorsqu'à l'inverse notre sécurité identitaire est mise à mal, les réactions ne se font pas attendre.
Certaines phrases prononcées montrent d'ailleurs bien toute la sensibilité des personnes à ce niveau. Dans une cour de récréation, lorsqu'un jeune insulte la mère d'un autre, il vise inconsciemment (mais assez efficacement) à réveiller le reptilien d'un autre. Si quelqu'un dit du mal de notre "genre", de notre famille, de notre ville, de notre pays ou de tout ce qui touche à notre identité, il obtiendra en général le même genre de résultat.
Avoir ces besoins reptiliens en tête permet de déduire un certain nombre d'attitude éducative qui peuvent contribuer à sécuriser.
- La première de ces attitudes consiste à garantir le cadre, à placer les règles et ensuite à s'assurer qu'elles jouent leur rôle. Cette démarche est importante car elle est en elle-même sécurisante, également parce qu'elle permet ensuite, en cas de problème, de s'appuyer sur ce cadre pour réagir et à nouveau sécuriser.
- La seconde attitude consiste à nourrir les participants par le biais des activités et du programme proposés. A l'école, la nourriture est bien sûr la plupart du temps symbolique. Il s'agit de proposer un rythme, des contenus et des démarches qui nourrissent un maximum les individus en présence. Mais il ne faut pas non plus oublier de nourrir également au niveau physique : en soutenant des politiques d'école qui travaillent sur la nourriture des élèves, en développant parfois des programmes permettant de nourrir ceux qui sont malheureusement privés à ce niveau.
- La troisième attitude consiste à protéger. Lorsqu'un participant est attaqué, que ce soit par un autre participant ou par un acteur extérieur, il est fondamental de jouer notre rôle de protecteur. Ce genre de situation n'arrive pas tous les jours mais, lorsque c'est le cas, il est fondamental d'en mesurer l'enjeu. Saisir l'opportunité de protéger, c'est bien souvent sécuriser la relation avec un jeune de manière très durable. A l'inverse, lorsqu'on peut protéger et qu'on ne le fait pas, les dégâts sont souvent importants. Le contre-exemple type à ce niveau consiste à devenir un danger pour les jeunes dont on a la responsabilité. Cela arrive malheureusement trop souvent, comme lorsqu'un jeune nous confie une information personnelle et se rend compte ensuite que nous l'avons diffusée à d'autres sans le prévenir. Il peut alors se sentir attaqué dans le dos, avec une grosse sensation d'insécurité. Cela arrive aussi régulièrement lorsque les élèves se rendent compte que les adultes parlent sur eux, dans leur dos et sans que la bienveillance ne soit réellement assurée.
Tout comme le cerveau reptilien, notre "mammifère" a autant des besoins physiques que symboliques. Physiquement, nous avons besoin d'avoir une place, de savoir où nous asseoir (dans une classe ou autour d'une table), dans quel groupe nous retrouver. Dans une classe par exemple, parvenir à une configuration dans laquelle chacun se sent à sa place et suffisamment confortable pour travailler, c'est bien souvent un des enjeux majeurs pour avoir un groupe qui progresse correctement.
Mais notre place est également symbolique. Il s'agit d'avoir une place dans le groupe, ce qui suppose que celui-ci ait un climat relationnel suffisamment positif. Il s'agit aussi d'avoir une place vis-à-vis de l'adulte ou de l'autorité, et là cela renvoie à notre capacité (en tant qu'enseignant ou éducateur) à construire une relation suffisamment dense avec chacun des jeunes. Symboliquement, avoir une place revient aussi à avoir une place dans la société, ce qui est assez variable selon les écoles. Dans certains établissements, le simple fait d'appartenir à l'école confère une place de prestige, reconnue à l'intérieur comme à l'extérieur. Dans d'autres c'est exactement le contraire : les membres d'une école intègrent tellement fort qu'y être scolarisé revient à être stigmatisé.
Pour répondre aux besoins du mammifère, il est important de rechercher une place pour chacun. Cela suppose de s'intéresser aux membres du groupes pour identifier la place dont ils ont besoin ou qu'ils demandent. Cela suppose également de nourrir les capacité relationnelles et l'ambiance du groupe, de manière à ce que les différents membres soient les plus sensibles aux places de chacun, ou tout simplement à ce qu'une dynamique de groupe puisse se développer harmonieusement. Quant à la place de notre école dans la société, il va de soi qu'il est difficile d'avoir un impact rapide à ce ce niveau-là. Ceci étant, il est cependant possible d'en discuter avec les membres du groupe, notamment pour diminuer l'impact qu'une réputation négative peut avoir sur leur vision d'eux-mêmes.
Les besoins du néocortex sont directement articulés à ceux du mammifère. Pour satisfaire le mammifère, il est important de donner à chacun une place qui lui convient, de manière à ce qu'il sente qu'il est accepté tel qu'il est. Sur cette base, l'étape suivant est de permettre aux uns et aux autres de réaliser quelque chose dont ils peuvent être fiers. C'est en ce sens que le néocortex a besoin de sortir de la passivité (trop souvent demandée aux étudiants) pour pouvoir faire et constater qu'on peut en être fier.
Pour y contribuer, il est important dès lors de multiplier les chemins rendant possible la fierté. Cela suppose de ne pas se contenter d'activités solitaires mobilisant l'intelligence linguistique ou mathématique. Il est également important de mobiliser l'intelligence musicale, inter-personnelle, naturaliste, kinétique ou spatiale (voir les intelligences multiples d'Howard Gardner).
La mise en projet est également précieuse dans cet objectif. D'une part elle permet de réfléchir avec les participants, ceux-ci ne manquant pas de proposer des pistes dans lesquelles leurs qualités pourront briller. D'autre part elle suppose d'imaginer quelque chose à réaliser, un produit qui permettra ensuite d'être fier du travail accompli. Le projet passe ensuite souvent par un moment de dépassement. Il mobiliser notre pugnacité pour aller justement jusqu'au bout de ce qu'il y a à réaliser.
Nous touchons là tout l'enjeu de cultiver l'exigence. "A vaincre sans péril..." La fierté est souvent proportionnelle à la difficulté, à l'exigence que l'on a réussi à dépasser. Si les trois cerveaux nous invitent à prendre en compte les besoins de sécurité et de place de nos bénéficiaires, ils n'induisent pas pour autant de diminuer les exigences. Le tout est qu'elles soient adaptées : pas trop élevées afin d'être atteignables, pas trop basses au risque d'être trop confortables.
Quelles que soient les exigences, il est cependant toujours bon de respecter cette règle chère à la logique de l'école citoyenne : "toujours commencer par valoriser le positif", parce qu'il y a toujours du positif, parce que la valorisation est un tremplin pour ensuite cultiver le dépassement.
Pour observer ces besoins sous l'angle des trois cerveaux, une attitude est incontournable : l'écoute. Avoir une attitude et des moments d'écoute avec les participants, il y a là quelque chose de nécessaire à un parcours éducatif réussi. L'écoute permet de comprendre ce qui insécurise les uns et les autres. Elle permet aussi de comprendre les attentes et enjeux en termes de place, tout autant que les intelligences à mobiliser pour dégager des chemins d'estime de soi. D'une certaine manière, les trois cerveaux nous amènent à éviter par dessus tout un enseignement qui ne penserait pas pas à ses auditeurs, qui ne tiendrait pas compte des besoins des ses destinataires.
De manière transversale, la théorie des trois cerveaux pourrait nous amener à penser qu'il y a une sorte de priorité du reptilien et puis du mammifère sur les enjeux du néocortex. C'est vrai, il faut en même temps savoir qu'il y a également moyen de parasiter les lignes. Pour y parvenir, la stratégie de l'exemple à suivre est précieuse. Lorsqu'un jeune a en face de lui quelqu'un qui lui ressemble et qui semble épanoui, les enjeux de sécurité et de place peuvent être très rapidement amoindris. Il n'y a rien de plus sécurisant que quelqu'un qui a dépassé les difficultés que l'on rencontre et qui s'en est sorti. Cela donne également une place puisqu'il apparaît implicitement qu'il y a là un chemin à suivre.
Cette stratégie de l'exemple à suivre, c'est celle des "Ambassadeurs d'expression citoyenne", cette association portée par des jeunes qui ont profité d'outils citoyens et qui ensuite les partagent avec d'autres, cette association qui est à la base de ce site et de l'accompagnement des "écoles citoyennes". Plus d'informations sur le site www.ambassadeurs.org ou sur d'autres pages de ce site.
"Entre-prendre la violence à l'école - Apprendre à réfléchir en communication de crise" (Dany Crutzen et Jacques Debatty)